Jan 07 2008

Neige

Published by at 2:28 am under montagne,Serre-Chevalier & Hautes-Alpes

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” Royaume candide, précaire, éternel, ô neige ! tu fais de l’homme un enfant gai, appliqué à sa consciencieuse oisiveté sportive (…) Tu vois tes fidèles quitter l’hôtel au petit jour, à l’heure où l’aube rapide laisse dormir le pied violacé des monts, mais découpe leur front comme dans un métal orangé, incandescent, qui taillade l’azur. Ils partent, leurs longues ailes de bois effilé liées sur une épaule et le double bâton dans la main. Ils sont sages et graves comme s’ils avaient tous dix ans (…) ici ou là qu’importe ?, pourvu que ce soit au prix d’un effort régulier, d’une gymnastique corporelle et mentale, pourvu qu’ils atteignent un moment d’exaltation mentale et corporelle, pourvu que debout quelque part, très haut, contre le noir azur qui pèse sur les cimes, contraints d’ouvrir leurs bras et leur coeur pour étreindre leur Eden, ils touchent à une félicité qu’ils ne raconteront pas. Ils rentrent à midi, fumants de joie et de sueur saine, avec leur petite ombre d’un bleu vif couchée à leurs pieds. Ou bien ils ne reviendront que le soir, ralentis, muets, et leur mutisme semble plein de poésie parce qu’ils ne pensent plus à rien. Ils sont tes amants comblés, ô neige ! (…) ils ont vu sous leurs pas diminuer le mont, grandir le paysage. A la halte, ils s’assirent sur un pan vierge de ta robe, et ils se tournaient de côté et d’autre à cause du soleil qui leur brûlait l’épaule (…) Puis ils lièrent à leurs pieds leurs ailes, et ils commencèrent leurs vols par-dessus les petites vallées. Parfois ils rayaient de grands cercles les champs immaculés. Selon leurs bonds, ils voyaient une contrée concave les quitter, revenir à eux, s’écarter encore … leurs chutes les poudraient de nacre; ils plongeaient tête première dans des cratères de paillettes où le soleil mettait les sept couleurs d’Iris. (…) La nuit, ils dorment d’un long sommeil d’enfants et leurs songes eux-mêmes ne te trahissent pas. Ils te voient en rêve et, mieux que pendant la veille, ils volent. Par leur fenêtre grande ouverte ton silence entre librement, et rien ne bouge dans ton empire inaccessible au vent, sinon le feu palpitantdes étoiles. Ils dorment, oubliant pour quelques heures la passion qu’ils te vouent, et c’est toi quelquefois qui, jalouse de les rejoindre, descends effeuillée, tournoies indécise autour de leur repos, et verses à leur chevet un fondant hommage de flocons, une brassée de plumes, de fleurs, de joyaux immaculés que dissout, comme l’apport d’un songe, la première atteinte du jour. “

Colette – Le Voyage Egoïste

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